Page:Giraudoux - Suzanne et le Pacifique, 1925.djvu/15

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Tu ne meurs pas, Marie-Sévère !

— Non, je ne meurs pas… Je meurs.


Nos cousins et nos institutrices nous apprenaient la vie. On nous apprenait à appeler les promenades des randonnées, la mort la camarde, et à employer le plus possible l’expression « grâce d’état ». On nous donnait peut-être une fausse notion du monde. Je ne veux citer ici que ce dont nous étions sûres, ayant obtenu la preuve par des recoupements. On nous apprenait qu’en Amérique les prostituées volent les hommes, restent pures, mais sont en somme des voleuses ; qu’en France, au contraire, les voleuses préfèrent se voler entre elles, car elles tombent amoureuses des victimes chloroformées. On nous apprenait que sur leur Suède gantée de lichen, les Suédoises sont des volcans de neige, des feux de glace. Que les Petites-Russiennes imitent les écritures des vingt hommes qu’elles désirent, s’écrivent à elles-mêmes vingt demandes en mariage, les refusent par vingt réponses motivées, et vont, méprisantes, par le monde. Que les Américains, de même que leurs étudiants ne viennent apprendre à Paris que l’architecture, viennent copier dans le cœur des Françaises je ne sais quelle architecture du bonheur, qu’ils partent ensuite au galop établir à