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lisme un académicien, je vis les tatous s’aimer, la guenon mourir. Mais du moins la guenon mima en grande actrice ce qu’est en Europe la mort d’un ami d’un jour. Les amis d’un jour qui meurent le soir, relient dans leur esprit leur mort et votre rencontre, croient mourir de cette dernière, vous pardonnent. Ils vous montrent du doigt la place où ils souffrent… Ils acceptent la banane avec enthousiasme, la laissent tomber en frémissant de dégoût, embrassent votre main… Ils cherchent par contenance de petits poux sur votre grand bras nu et lisse… vous supplient on ne sait de quoi, de leur donner vite un nom, de ne pas les laisser mourir sans avoir du moins, une minute, un nom ; ils pleurent… Cette souffrance que les draps là-bas cachent et qui s’amasse sur leur tête, je la vis s’emparer du corps entier de la guenon comme une ciguë, ses pieds devinrent froids, puis ses genoux, ses mains firent le geste de plumer un oiseau, elle sacrifia un perroquet à son dieu des médecines, et, mourut, guenon, de la plus grande mort…

Les traces du naufragé qui m’avait précédée dans cette île étaient évidemment du même homme, mais les unes semblaient dater d’hier et les autres semblaient centenaires. Des pics, des crochets portaient cent ans de rouille, mais à certains