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autour de moi qui jouaient à eux seuls toutes les fables de La Fontaine, se rencontrant de face sur une liane au-dessus d’un gouffre et ne cédant point, tirant par la queue une guenon sur le dos qui étreignait une noix, l’un d’en bas parlant à l’autre d’en haut qui mangeait une banane, j’avais plus encore aussi cette impression de me réveiller dans un jardin public, le matin, non loin d’une usine. Une mangouste passa au galop, j’eus le sursaut qu’on a au Jardin des Plantes quand la mangouste s’échappe, du regard cherchant je ne sais quel gardien… Mon petit singe passait de mon épaule à ma poitrine, comme la goutte d’eau d’un niveau, chaque fois que je me levais ou m’étendais… Je voyais sur la mer ces moutons et ces flocons que les appartements rendent le matin, gloire des femmes de ménage. Au-dessus de ces échafaudages invisibles que sans relâche bâtissaient les singes pour repeindre devant les cocotiers une invisible façade, avec leurs clameurs quand tombait une planche invisible, prise dans le filet que traçaient autour de moi martres, bigans et hérissons, les oiseaux-mouches heurtant des sphinx, qui modéraient leurs hélices puis rebondissaient vers le ciel… toute l’île travaillant pour moi comme un chantier… c’est alors qu’eut lieu le tremblement de terre…