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ours… Des carabes dorés ? j’allais voir un carabier. De naufragée, d’épave, j’étais promue Alice aux pays des merveilles. Plus qu’elle encore j’éprouvais ce délire intérieur que donne l’idée du singe bleu, et cet apitoiement sur le mal humain que donne le tatou, et ce dévouement pour la patrie que donne la petite antilope grise, et cet amour des savants, des poètes, que donne l’antilope rayée. Chaque motte de l’île tombée à la mer devenait un rat musqué, une loutre, et la regagnait aussitôt, lui redonnant en vie et en poil tout ce qu’elle perdait de roche et de feuillage. Un élan encore de l’île, et j’allais voir les racines plongées dans l’eau s’agiter, devenir des trompes, le tronc tacheté des viellis devenir un cou de girafe. Puis, comme si les fruits étaient vivants, d’un arbre que je secouai, entre vingt fruits, un écureuil tomba sur mon épaule. Déjà il avait glissé le long de mon corps, je n’avais attrapé qu’une prune écrasée, mais j’avais enfin été frôlée par autre chose qu’une aile et qu’une écaille, par un de ces êtres qui donnent plus à l’homme que des chapeaux et des peignes, par un de ces êtres destinés à orner, non plus notre tête, mais notre corps, par un être de ma chaleur.

Je vois maintenant qu’il eût été trop violent, trop dangereux pour moi de retrouver tout de