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travers un animal, à travers ce décor de mon existence ancienne qu’était une antilope, un chat, une fouine, les deux yeux d’un petit acteur. Partout, au lieu de ces bruits fripés de plumes, des bruits de pas, de trot, de galop, un rythme d’Europe qui me redonnait la lenteur et la vitesse. De beaux oiseaux rouges et verts montaient à chaque instant sous mes pas, tout droits, comme les fusées italiennes qu’on lance pour distraire un criminel de son crime, un savant de son travail, mais je ne levais plus les yeux. Je heurtais du pied de gros œufs orange, placés là pour retarder ma course vers le lièvre ou le blaireau, mais je ne les ramassais plus. Toute ma journée se passa à tourner à rebours un cinéma de mon enfance qui me rendit les cochons d’Inde, les écureuils. Quand j’entendais les herbes froissées, quand un buisson ondulait, au lieu de n’avoir à penser comme dans mon île : c’est le vent d’Est, c’est le vent d’Ouest,… de ma mémoire s’échappait, la raclant doucement s’il avait des piquants, un nouvel animal : — C’est un pécari, me disais-je… C’est un iguane… C’est peut-être un tatou… Chaque insecte, chaque plante me donnait, comme à un créateur, l’image, l’attente de l’animal qui vivait d’eux ; des blattes ? ma mangouste n’était pas loin… Des abeilles ? attention aux petits