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CHAPITRE SIXIÈME

Mon voyage fut facile. Pour parler comme les protestants dans leurs récits de naufrage, Dieu fit qu’un gros poisson que je croyais torpille en me heurtant n’éclatât pas. Dieu me fit couper des assises de belles ablettes étagées et immobiles comme des élus dans Tintoret. Dieu (non sans avoir empli ma bouche à deux reprises de sa grande humeur salée) me fit découvrir à travers les récifs un canal, prendre pied, ma tête dépassant, sur une lagune, et soudain, comme si Dieu ouvrait enfin ces deux oreilles condamnées depuis un an au seul chant des oiseaux, Dieu me laissa entendre aussitôt des clameurs, des glapissements, des sifflets et des aboiements. Puis Dieu, pendant que je secouais ou débouchais du petit doigt mes oreilles pleines d’eau, fit miauler, hennir, barrir