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aimé vivre sur moi, être pour une femme ce que dans d’autres climats ils étaient pour le crocodile ou le rhinocéros, gagnés par la douceur d’un grand être, ne demandant qu’à m’annoncer mes ennemis. Tous familiers d’ailleurs, se laissant presque tous approcher et caresser, et en ce point seulement mon aventure ressemblait à un vrai rêve. Parfois d’immenses conciliabules entre les myriades d’oiseaux qui tissent, ceux qui fauchent, ceux qui cousent et ceux qui sécrètent, ceux qui plantent des joncs et ceux qui plantent des coquilles, comme s’il s’agissait enfin d’établir un modèle de nid commun. Parfois, au coucher du soleil, un vol de pigeons nains s’abattant à la hâte sur un manguier auquel les chauves-souris pendaient le jour par grappes et les condamnant à errer jusqu’au matin. Un perpétuel quatre-coins sur chaque arbre, qui laissait flottantes des centaines d’ailes. Parfois des arbres combles, d’où j’enlevais à la main le plus gros oiseau, comme un fruit mûr, pour sauver la branche. J’essayais de les effrayer par des cris ; tous alors se tournaient vers moi sur leurs perchoirs, me regardant ; par des gestes, alors tous me tournaient le dos, veuves et paradis fleurissant soudain l’arbre. Des oiseaux que je croyais terriens tombant soudain comme des pierres au fond de la lagune. Les