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croyais, — J’y crois, — aux saules, aux harpes, aux palmes. Je croyais, comme toute ma classe, au génie, et le talent pour nous ne comptait pas ; qu’était le talent de plus qu’une facilité, de plus qu’un don ? Fénelon, Ronsard avaient du talent, j’avais du talent. On dédaigne ce qui n’est que talent, en province ! Mais nous savions par cœur tous les vers, toutes les ripostes sublimes. Douce chose que le sublime, pour un enfant qui lit, ses devoirs terminés, dans l’étude mal éclairée, grondant l’orage ; chacun de nous avait sur un carnet tous ces distiques qui reluisent soudain dans la tirade comme un double échelon d’argent ; ces phrases qu’une forme de fer maintient tendues depuis des siècles au-dessous d’un langage desséché ; tous ces mots dédaigneux de vaincus à vainqueurs, de martyrs à leurs épouses, qui vous donnent y soudain des os en ivoire, des ongles coiffés d’or, des yeux piqués de rubis ; tous les débuts de, vers que l’indignation, la mort, le désespoir du héros interrompent et d’où l’on peut secouer, comme d’un marbre un raccord de plâtre, le second hexamètre. Mais le sublime a je ne sais quoi de bestial, d’impitoyable, je lui préférais le génie. Je devenais caressant et paresseux dès