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tain d’abord, tout inquiétude et tout espoir, essayant de lire sur nos visages si nous étions trente disciples ou trente bourreaux, nous tournant à dessein le dos, courage suprême, pour voir comment nous en profiterions. Plusieurs d’entre nous, sur le modèle des cow-boys qui laissent, pour tirer, leur revolver dans le veston, claquaient des doigts les mains dans les poches. Il frissonnait sans se retourner, secouant des épaules ces balles anonymes. Mal habillé, mal renseigné, il me traitait sans déférence et je trouvais un grand charme à cet incognito. Je l’attendais au concours d’ouverture. Il osa, ce jour-là, nous donner un sujet sentimental : l’amour d’Orphée et d’Eurydice. Il jouait toutes ses cartes : il voulait sortir de la composition déconsidéré ou admis. C’était le matin, je fus inspiré, je composai un poème du moyen âge. — Las, Orphée ! disait Eurydice. Aimable Orphée ! Doux ménestrel. Le roi d’Outopia me veut. Je veux vous, et ne veux rien autre… Orphée se lamentait dans la même langue correcte et mesurée, s’accompagnant, lui, sur la viole. Le lendemain, notre maître arriva avant l’heure, les joues rouges ; sans attendre les leçons il lut aussitôt ma copie, et celle de Gontran, qui avait fait d’Eury-