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— Viens voir tes professeurs, Simon !

Je les vois encore, ils venaient me dire adieu. Je ne les vois bien qu’aujourd’hui. Eux toujours en guenilles, je les vois soudain avec des cravates blanches, des rabats en dentelle, des chaussettes de soie. C’est de la reconnaissance, sans doute, mais que ne leur dois-je pas ? Au village, puis au lycée, je n’ai trouvé pour me protéger et m’instruire que des êtres parfaits. Jusqu’à ce que je fusse devenu moi-même un homme, l’occasion m’a été refusée de connaître un homme méchant, menteur ou envieux. Je pensais que l’hypocrisie, la vanité, la lâcheté étaient des défauts d’enfants. Mes deux maîtres étaient justement trop modestes, trop parfaits, tous deux avaient vu leur vie se briser au départ et ils m’avaient avoué et remis, à moi si jeune, et pour en faire ce que je voudrais, toutes leurs pauvres ambitions. Le premier, gloire du séminaire, avait un jour quitté les ordres pour épouser une layeuse. Trois années il avait cassé les cailloux, puis scié le bois, puis vendu le cresson, les cèpes. Il se rapprochait peu à peu de la forêt, du vagabondage, quand le maire l’avait sauvé. — Une commune libre-penseuse s’honore, avait écrit le maire, de ramasser ce que Dieu rejette ;