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rideaux, que des êtres simples et bons, et ceux que l’on aurait choisis justement pour fêter le centenaire de la vie elle-même… Je savais maintenant comment rejoindre Forestier. La baronne de Schleissheim me présenterait une seconde fois au prince, et je demanderais son aide pour pénétrer dans la villa.

Vers six heures, quand les visites eurent cessé, je pouvais donc faire mon bilan. Tous les Allemands que j’avais vus passer ce seuil, en somme, musiciens, banquiers et princes libéraux, sans parler des princesses nageuses, n’étaient autres que ceux qui gardent depuis des siècles l’Or du Rhin, si l’or du Rhin représente la naïveté, la pompe, la douceur allemandes, et c’était à eux que j’avais à ravir Forestier. Le vrai Siegfried aujourd’hui, c’était moi, avec mon passeport canadien : Siegfried Chapdelaine. Dans la circulaire du Generalstab sur la rééducation des blessés allemands amnésiques que venait de m’apporter Ida, je lisais d’ailleurs qu’on ne leur donnait comme maîtres que les spécialistes du Moyen Âge ; on les confinait dans les cités libres intactes, Stralsund, Rothenbourg ou Nüremberg ; on usait avec eux, comme avec les enfants allemands, de cette ressemblance vraie ou factice de l’Allemagne d’aujourd’hui à celle du Saint-Empire pour glisser le Moyen Âge comme un transparent au-dessous de chacun de leurs atlas ou de leurs leçons. J’avais à ravir Forestier, non à Lerchenfeld, non à Theodore Wolff, mais aux Fugger, aux Piccolomini, à Albert Dürer. J’avais à le ravir, non à Lili Marlberg, à Léa Bolz, mais aux Allemandes de Vischer et de Cranach, car je venais de lire aussi la circulaire du médecin-major de Stralsund sur l’infirmière type