Quand je m’éveillai, la neige ne tombait plus, mais
un grand vent soufflait, qui soudain, comme si le
vent avait été le grand ennemi des hommes à leur
naissance sur la terre, rendait attendrissante aux
larmes l’invention des maisons, de la casserole de
cuivre, du lit et des doubles fenêtres. Les animaux,
chevaux et bœufs, qui n’ont point la faculté ou le
temps de changer leur couleur l’hiver, effarés d’être
aussi visibles sur la rue blanche, s’y creusaient, en
piaffant et grattant, un socle noir. Comme si la neige
avait été le premier ami des êtres humains à leur
naissance, les passants se baissaient là où elle paraissait
le plus sensible, et la caressaient. Point de bruits
de pas, les hommes semblaient tout au plus appuyer
sur le monde, comme par un trolley, par leur rire ou
par leur parole… Un vieillard, qui avait dû chasser
des fauves aujourd’hui disparus, imprimait de ses
doigts sur chaque pierre de fenêtre la trace du loup
et de l’élan. Puis des valets balayeurs, selon l’amitié
ou l’antipathie des propriétaires, tracèrent ou ne tracèrent
pas de petits chemins entre les villas.
Juste en face, Siegfried avait tiré ses rideaux et achevait sa toilette. Presque identique en pyjama à Forestier, il disparaissait à chaque instant de sa fenêtre, et de chacun de ses plongeons en Allemagne rapportait un vêtement qui le déguisait un peu plus. Lui, qui ne portait que du linge blanc, s’enveloppa d’un tricot mauve, d’un caleçon rose, de genouillères vert véronèse, s’armant pour je ne sais quel tournoi