Page:Giraudoux - Siegfried et le Limousin.djvu/72

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

hommes gros, c’est-à-dire des ténors, l’énorme bossu qui chantait le mieux l’italien : sûrement on jouait le divin Mozart. Au point terminus du tramway, au point d’ailleurs qui devrait être le terminus de tous les tramways et de tous les trains du monde, au pied même d’un édifice où l’on donnait La Flûte Enchantée, je descendis.

Je n’étais pas désorienté de me promener dans cette ville avec un faux passeport et en vainqueur. C’était celle du monde où je m’étais le plus déguisé. J’avais passé sous ces arcades en berger bernois, dans ce Café Royal, — en vampire, — j’avais embrassé une Finlandaise, j’avais pris ce tramway en Frédéric II et ces taxis en Voltaire, j’avais en femme acheté dans ce magasin des faux cols d’homme. Il me restait de ce polymorphisme, par cette neige et avec l’ivresse du retour, le sentiment de pouvoir presque recourir, s’il en était besoin, selon le schutzmann ou la kellnerin, à des costumes ou à des formes non humaines… Déguisé en glace à la fraise, j’avais bu là mon café-crème… Où ne s’élève point vers le soit l’imagination, quand la réalité vous trouve au matin habillé, comme nous l’étions alors, d’une culotte noire passepoilée de grenat et coupée aux cuisses d’une chemise gaufrée à revers brodés de zinnias, et d’un chapeau émeraude à blaireau de chamois, en un mot du complet bavarois ! Mais, aujourd’hui, plus de ces lumières placées très haut dans un arbre ou un clocher pour détourner les moustiques et les mites des danseuses et des vieux dominos. J’apercevais, à peine éclairés à leur pied par une lanterne comme un cheval dont on regarde le sabot déferré, ces arcs-de-triomphe,