CHAPITRE TROISIÈME
En face de la villa Siegfried s’élevait un bâtiment,
neuf en 1914, et qui avait cent ans, car les maisons
allemandes, privées de concierges, ont une conscience
autrement délétère, un cœur autrement rapide que les
maisons françaises et vieillissent autrement vite. Ce
fard dont les Allemands nous reprochent d’enduire
nos visages, ils en couvrent leurs édifices : construite
dans l’arc-en-ciel de la Herrlichkeit d’avant-guerre,
il ne restait sur celui-là, de sa poudre de riz ocre, du
rouge des voussures, des torchis orange, des rideaux
noirs, des œils-de-bœuf violets, que le spectre d’un
soleil neurasthénique, — et des fresques de la façade
juste ce qu’il en faudrait dans une caverne préhistorique
pour démontrer que les Magdaléniens connaissaient
Guillaume II, Salomé, et l’aviation. Il était
loué en garni et je retins au premier étage une chambre
qui donnait sur la villa, bien que l’hôtesse, me supposant
le désir d’épier les exilés de Kiev et d’Odessa
dont regorgeait la maison et me croyant de la police,
voulût me loger sur la cour d’où je les aurais tous
vus, à travers une neige que deux petits enfants russes
recevaient dans la cour sur leurs mains et mangeaient
comme la manne de leur pays. De mon couloir, j’aper-