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1914. Chassée par les Comités de protection des sites n° 1 à n° 15, elle s’entassait dans les sites 14 à 20, ceux qui sont à l’écart des rivières et des forêts. Puisque l’eau, le chauffage et la lumière se trouvent maintenant à tous endroits, sur chaque surface stérile, entre pinèdes et bruyères, s’amassaient des faubourgs sans ville, des cheminées éloignées d’après le nouveau système de leur usine et réunies à vingt en palmeraie ; auprès de chaque étang, un établissement avec flux et reflux artificiel ; parallèles à la route et fonctionnant à l’air, des courroies de transmission qui reliaient deux pignons dans deux bâtiments séparés de vingt décamètres. Sur les vêtements de tout ce nouveau peuple, quelle qu’en fût la couleur, cette bourre qu’on trouve sur la robe des jeunes louveteaux et des oursons. Mais surtout, à chaque interstice libre entre deux rues, sur chaque façade, sur les tréteaux autour des marchés de poissons combles des bêtes que les autres pays dissimulent dans les conserves, crabes, pieuvres, calmars et poissons tigres, l’alphabet de la nouvelle race, les affiches. Affiches pour les aliments, tous pourvus de noms chimiques, comme si l’Allemand ne connaissait plus la nourriture animale et végétale, l’Egoton, qu’il faut faire bouillir deux heures, l’Hygiopon, préférable rôti, le Rad Io, pour les salades, et les cakes eux-mêmes s’écrivaient Keks. Affiches pour la beauté, aussi fréquentes et plus larges que la publicité chez nous des sardines Amieux, et presque toutes consacrées entre Freysing et Munich à l’embellissement du nez : Ennoblis ta forme de nez, disait l’écriteau qui, en France, au nom de Michelin, vous prie d’épargner les enfants. Les nez rouges sont guéris par l’Ekia, les