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grande entreprise, et j’ai l’impression que S. V. K. ne va pas tarder à nous être moins étranger…

— Tu pars pour l’Allemagne ?

— Il vaut mieux ne rien te dire. Je pars pour Munich. Je pars à cause d’une phrase qui m’obsède. Cette phrase, c’est tout ce que je sais encore de mes projets. Je me suis acheminé vers tous les actes importants de ma vie, et entraîné à eux, tout simplement en me répétant une année, six mois à l’avance la même formule, venue d’ailleurs par hasard à mon esprit, mais l’habitude de la répétition finissait par me rendre anodin et inévitable l’acte qu’elle figurait. Je ne redoutais rien plus, enfant, que désobéir à mon grand-père, mais si je me répétais trois jours de suite : « J’ai dit zut à mon grand-père », j’arrivais inéluctablement et sans remords à ce méfait. L’acte n’était plus que ma confession. L’acte m’absolvait. Ainsi dans mon existence, j’ai prononcé six mois innocemment la phrase : « J’ai trompé ma femme », puis six autres mois j’ai dit : « Je trompe ma femme avec ma belle-sœur », et ces phrases endormaient en moi tout sursaut et tout jugement. Vingt formules ont habité ainsi ma pensée et ma gorge, dont je n’ai pas à te dire si elles se sont ou non réalisées : « J’ai tué mon capitaine », « j’ai crevé la Ronde de Nuit », « j’ai coupé de force la barbe et une moustache de Sudermann », « j’ai donné le quart de ma fortune aux petites sœurs de Cassel ». Sache seulement que la phrase que je porte en ce moment est la suivante : « Je veux mourir pour la vraie Allemagne… » Rassure-toi, il faut d’abord la trouver…

Mais nous étions presque à ma rue. J’entendais