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d’arbres et de plantes presque inconnus pour moi, sarrasin, merisiers, genévriers, tant chacun semblait placé ou semé à la place exacte que lui assignait la parole de mon père ; et, bien que chaque village offrît à mon regard un tassement nouveau, ce n’était pas sur une contrée nouvelle que j’éparpillais ces noms pour moi usés. Chacun fécondait son district d’une humanité et d’une faune distinctes ; Le Breuil, où les Lacôte, nouveaux venus du Bourbonnais, s’étaient brouillés avec les Sillac, qui avaient servi le poulet avec le foie et la tête, et où chez mon cousin Petit vivait un lynx apprivoisé. Rançon, où était empaillé à la mairie un oiseau porte-lyre et où le député auquel mon père donna son premier vote affecta toujours de croire qu’il avait voté pour l’adversaire. Rançon, premier synonyme pour moi de la beauté et de l’injustice. Fromental, avec sa tortue, où les nouveaux riches appelés Frommenthal s’empressent d’acheter des maisons de famille, et où il vit un saltimbanque tomber de la corde raide et se tuer, — premier synonyme pour moi de la mort. Pas un de ces bourgs ensoleillés pour lui et lunaires pour moi dont le nom ne s’accolât ainsi à l’un des espoirs et l’une des déceptions de la vie tels que je les avais imaginés pour la première fois à huit ans. Quelquefois des stations, Larsac, Le Raynou, dont je ne lui avais jamais entendu parler, et l’air, le sol m’étaient dans cette zone sans saveur ; mais arrivait soudain Saint-Sulpice-Laurière, embranchement vers les trois villes d’Universités, où il dormait sur un banc dans ses voyages d’examens, et où justement je voyais ce matin affiliés une dizaine de collégiens à l’intersection de Bourges, de Clermont et de Poitiers, vers lesquelles