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lignes proclamaient heureux. Mes lignes étaient bonnes. Il tâcha donc de devenir mon ami le plus cher, car je n’avais pas une main à perdre un vrai ami ; et, comme tous les peureux avec ceux qui ont moins peur, il essayait de me donner confiance en me contant sa condamnation de Kiev et ses dix pendaisons…

— C’est l’histoire de Shéhérazade, Heinrich ! Tous les lundis et vendredis, pendant un mois, deux notables me prenaient pour me conduire pendre au Todtenfeld. Les Russes sont plus durs que les Allemands. Dès le premier jour, Lili avait obtenu sa grâce d’un capitaine von der Galt, 9, Litauer Strasse, à Berlin. (Il faut retenir les adresses de ceux qui vous ont sauvé la vie, ils doivent vous aider ensuite à la supporter.) À von der Galt, Lili, apprenant qu’elle allait être pendue, tira la langue. Von der Galt se mit à rire : — Va-t’en, dit-il, tu as donné tout ce qu’une femme peut donner par la pendaison ! Il faisait allusion à ce que vous savez. Moi, je lui tendis en vain mes mains rissolées, mais, par bonheur, le Todtenfeld était loin de la ville. Mes guides à la potence, c’étaient tantôt des maîtres d’école, tantôt des petits patrons, qu’il était bien facile d’attirer dans les discussions, que le moindre argument trouvait sans réplique, et qui me ramenaient par conscience. Je voyais vite à leur tête si c’était avec leur dieu, leur tsar, ou leur Trotsky, ou si c’étaient des ouvriers, leur électricité et leur caisse de secours qu’il fallait les amorcer. Le jour du maître d’école Balanov, 333, Alexandre-perspective, je lui prouvai que la mort ne peut engendrer la vie, c’est-à-dire le bon exemple, c’est-à-dire la bonne