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— je ne pouvais le préciser encore — à la manière du gibier ou des chasseurs, et les téléphones, les appareils de T. S. F. avaient surgi dans les réduits où le facteur hier ne pouvait pénétrer que sa carte de facteur à la main. Les femmes, que j’avais toujours vues étendues sur des grabats et recouvertes de haillons, étaient debout, demi-nues, décolletées pour la fête, et les bijoux avaient apparu à leur gorge, leur cou, leur front et jusqu’à leurs chevilles comme les tatouages qu’on repique de frais chez les Papous au jour du Grand-Jour. Le murmure des harmonicas, des boîtes à musique et les fredons, seule particularité empruntée à l’Allemagne par la tribu, avait cessé. Eux qui ne tenaient jusqu’ici leurs renseignements sur le monde que par des colloques, des lettres chiffrées, des pressions de pouce, s’arrachaient les journaux et l’on sentait que le journal, en effet, apportait aujourd’hui imprimés tous ces mots cabalistiques que leur transmettait hier la tradition orale. Des mélanges que je n’aurais jamais soupçonnés et qui n’avaient dû avoir lieu que de nuit s’opéraient au grand jour ; la blonde à dartres du quatrième circulait dans le premier à gauche ; le casquettier, dans la cellule opposée à la sienne, recevait pour la première fois les flots du soleil levant, desquels il s’écartait avec dégoût, comme si c’était vraiment de l’eau. Les femmes tendaient des rideaux, hissaient des stores, ainsi que dans les fiacres avant de complètes et rapides unions. Les fenêtres, chose incroyable, s’ouvraient, et l’air de la révolution recevait le droit d’aérer. Parfois, une nouvelle sensationnelle, comme un coup heureux au jeu de l’oie, faisait avancer tout le monde de plusieurs chambres. Des enfants qui avaient