Page:Giraudoux - Siegfried et le Limousin.djvu/19

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Sur les ponts passaient des caravanes. L’armée des cavaliers maîtresse des faubourgs fourbissait les chars dans la forêt d’ifs qui dominait la capitale ennemie dont on voyait tout juste les cathédrales et les piscines. Toute cette agitation, ce foisonnement de monuments et de peuples, on sentait qu’il était le masque d’une toute petite curation immortelle et méconnue qui s’accomplissait ce jour-là, mort d’un philosophe ou naissance d’une martyre… Dans l’immense ciel, un oiseau… Le second dessin avait ceci d’inestimable pour moi que le principal personnage me ressemblait… Jamais photographie n’avait mieux marqué ce qui restait de mon visage quand la marée du soleil à son plein l’avait recouvert… Il était daté de Rome et de mai 1648. Je me promenais au bord du Tibre. Tout l’éclat romain et du printemps 1648 était étalé autour de quatre petits écueils à la sépia qui étaient mon nez, mes sourcils et ma bouche. Ce qui marquait de mon visage sur la neige, je le voyais marqué sur l’âme du Poussin… Dans le ciel volait le même oiseau, un peu rapproché cependant, et, tout au fond, sous un bosquet, dormaient deux personnages qui étaient ma fille et mon gendre nus, Narcisse je crois et Écho… Le troisième dessin était le même héros sur son lit de mort, était ma mort… Mais revenons à Zelten.

Quand j’eus demandé le prix de ces dessins et que je les eus ravis en échange de quelques billets, qui servaient non à les payer, mais à payer ceux que je devais déjà (car un amateur croirait un dessin déshonoré s’il l’achetait comme une marchandise au lieu de se libérer par un système de rançons, payant le Nicole emporté le mois précédent pour avoir le Hubert