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testantisme, — elle était arrivée par un baron bibelotier, puis par un général écrivain, à un petit poète qui était cela même qu’elle avait souhaité, modeste, illustre et sans lunettes. Mais, à ce moment même, elle avait aussi quarante-cinq ans et sa fortune avait péri. Tout ce qui est à cet âge la poésie de la vie, l’auto avec deux chauffeurs en peau blanche, les dîners auprès des petites rivières, les voyages avec de belles malles, lui échappait, et elle n’avait plus qu’un poète… Ainsi ceux qui aiment un parfum jusqu’à partir pour le Liban en respirer l’essence même, et ne trouvent que son bois d’origine, tout juste odorant si on le frotte avec son nez. Sur son divan, enfouie sous la couverture déformée comme ne se déforment que les vêtements, elle se lamentait du réalisme de la vie, alors que dans la pièce voisine, malgré ses appels de lèvres, car elle avait pris dans le malheur l’habitude de siffler comme un serpent ; malgré les cris du premier petit beau-frère, le piano de la seconde petite belle-sœur, avec une encre qui lui était disputée trois fois par jour pour les comptes, Weissberger, passant sa défaite dans le mariage au compte général de sa patrie, composait les seuls beaux poèmes de l’Allemagne vaincue. Parfois, entendant son mari lire à mi-voix une épode, à quart de voix une antistrophe, par haine des bourgeois et de la poésie, leur expression, les bas tombant sur les chevilles, elle enfilait, devant la cuisinière, un grand verre de vin blanc.

C’est entre ces deux persécutés que Kleist put juger Geneviève. Alors qu’Eva, franchi le paillasson des Weissberger, ne parlait que par allusions aux héros que Weissberger avait créés, le grand boulanger de