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ciers font des espions. Mais je savais que les menaces de la Consul n’étaient pas vaines, et aussi je prenais un goût étrange à avoir une partie de moi-même allemande et à prolonger cette communion avec un ennemi plein de haine. Kleist d’ailleurs rentrait rarement satisfait de ses réunions politiques. Toujours quelque détail le choquait, le député qui avait raison crachait par terre, le député loyal était celui qui avait tort. Il allait de groupe à groupe, de conseil à conseil, impuissant à donner un mouvement raisonnable et réel aux débats. Tout cela rappelait la mer au théâtre, quand le régisseur n’a pu trouver qu’un seul enfant pour glisser sous le tapis et l’agiter. J’attendais avec impatience les fêtes de Gœthe.

Pour ne pas donner à la manifestation un aspect politique, c’est à Potsdam, au bord de la Havel, que furent lus les discours. L’enceinte était au centre d’un parc public, comme dans chaque phrase du poète son sens réservé. Dans les jardins de Frédéric les bonnes dames de Potsdam se promenaient toutes vernies de violet, de carmin et de jaune entre les ifs, les catalpas et les platanes. Les fiacres sans roues caoutchoutées, au compteur dont on multiplie le chiffre par vingt-deux et demi, stationnaient au pied des obélisques, car les monuments en avril fournissent plus d’ombre que les arbres, surveillés des mausolées par les taxis dont on multiplie le compteur par cent huit. Les procureurs secrets, assistés de la procureuse, aidaient par le collier les bassets à gravit les onze terrasses. Un hussard rouge s’échappait d’une pyramide voilée de peupliers à feuilles naissantes et disparaissait dans une double colonnade. Devant l’Orangerie les spécialistes qui