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rapide, des câbles pendaient aux ponts pour que les paysagistes en baignade emportés par le courant pussent se rattraper avant l’écluse et la meule. Devant nous un soleil empressé taillait les montagnes. À chaque vibration plus aiguë de la lumière, Geneviève se mettait du rouge, à la seconde où les peintres devaient aussi rehausser la couleur de leurs personnages, tant leur paysage s’avivait.

Chacune de nos visites était décorée d’un titre : la première s’appelait Hermannschlacht, la seconde Sedan, et la troisième Lacs Mazuriens. L’Hermannschlacht fut ratée. Le président des anciens Bavarois de la Légion étrangère manqua du sang-froid le plus élémentaire, car sa fille accouchait. Elle poussait, dans la chambre proche, des clameurs qu’il essayait de comparer, tout blême, aux cris qu’il avait entendu pousser par le jeune Fliegenschuh, condamné près de Figuig à être mangé par les chacals. Les explications qu’il nous donnait en latin, — pourquoi en latin ? — de la furor sadica du capitaine Gouraud, de la frenesis capitalis du lieutenant Lyautey, étaient embrouillées et troublées par son désir de savoir si c’était un fils ou une fille. Ce fut une fille ; elle poussa aussitôt de petits beuglements qui rappelaient à s’y méprendre, paraît-il, les dernières plaintes du légionnaire Muller, de Stuttgart, condamné a être mangé par les fourmis. Enfin, après quelques récriminations contre la mentem mortiferam du commandant Archinard, et aussi contre le stupidum caput du Dr  Strockner, le pangermaniste, d’après lequel seule une remarquable infériorité intellectuelle pouvait amener des Allemands à la Légion, après un défilé devant les portraits de ses