Page:Giraudoux - Siegfried et le Limousin.djvu/145

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

truite si grosse qu’en la jetant en l’air elle assomma une perdrix, ce dont le pêcheur fut si stupéfait qu’il tomba assis sur un lièvre et le tua. Le plus grand esprit critique de Weimar avait tout cru… C’était tout ce qu’il y avait à lire en moi, avec le désir de voir terminer l’intermède comique ; Greidlinger en fit part à Schmeck et tous deux prirent congé.

Eva s’était assise, lasse. Le verbiage de Schmeck m’avait servi. Cette façon mécanique de faire d’un homme sans patrie l’Allemand le plus conscient soudain la choquait. Je vins m’asseoir près d’elle. Je passai mon bras autour de sa taille. Je réunis un peu les deux planches flottantes du radeau qui portait, sur une mer si menaçante, notre ami. Le poêle qui ronflait, le soleil qui mourait sur la couronne d’Austerlitz du ténor Langen, lui redonnaient pour une minute la mémoire de ce qu’avait été et la vue de ce que sera un jour la paix. Elle prit ma main. Mais le tournoi dont les êtres vivants avaient donné l’exemple dans cette salle continuait entre les objets, et les chants alternés s’y échangeaient dans le silence, car, heurtant du coude un Hamburgisches Correspondent, que Schmeck avait dû laisser là, elle le fit tomber ouvert à nos pieds et, penchés sur la revue, nous y lisions un hymne de haine :

« France, disait un Otto Ernst Schmidt, je souhaite la fin du monde si tu peux en mourir. À tous les pays je souhaite le malheur qui est le nôtre. Qu’une autre race descende d’une autre planète ; qu’elle apporte à l’Amérique une unité monétaire qui vaille 600 dollars, que des êtres à sexe difforme ravagent la France. De même que pendant la guerre ce n’étaient pas les