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avaient repris, je ne voulus pas être en reste et préparai mon épode. Voici donc ce que les étudiantes disaient chez nous : je n’inventais d’ailleurs pas ; c’était le discours de l’agrégée d’allemand à la distribution des prix de Brive :

« Nous avons aujourd’hui à Brive la première distribution de prix où les robes de couleur soient plus nombreuses que les robes noires. Toi, Marie Desmoulins, qui as eu le prix de thème allemand, toi, Denise Laurent, qui as celui de version, une mission plus grave vous est réservée qu’à celles de vos compagnes lauréates en italien et en anglais. Vous savez, mes enfants, que le monde a deux tampons, l’Allemagne, qui amortit les heurts du côté de l’instinct, de la vie physique, du chaos, comme mon cours d’avant Pâques vous l’a prouvé, et la France, qui les empêche du côté de la vie théorique, sensible et logique. Tu as donc, Marie Desmoulins… »

Je ne pus achever mon antistrophe, car on frappa et deux hommes entrèrent.

Ils étaient évidemment depuis longtemps derrière la porte. Mon escalier est raide et aucun ne soufflait. Ils détournaient les yeux d’Eva, dont les cheveux, autre signe des archanges ou autre rappel au chrysanthème Bourla, s’étaient défaits. Ils semblaient deux maris venus pour surprendre ensemble leur unique femme. Je connaissais de vue le plus jeune, jadis ami de Zelten et grand spirite, et j’avais suivi à l’Université le cours dans lequel le plus vieux déclarait erronées toutes les doctrines de l’économie politique européenne sur les guerres ; le contingent naturel de cuivre, de laiton ou d’acier s’éparpillait selon lui dans