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abondaient. Le fait n’était pas isolé en Allemagne de ces pèlerinages autour d’écrivains sans production ou de peintres sans tableau. Il n’y a plus d’œuvres, ou à peu près, en ce pays ; il n’y a plus que des auteurs. Disparus, ces Berlinois plus semblables à des silhouettes ou à des baudruches qui arrivaient à créer la vie et de lourds volumes, comme les femmes efflanquées, que personne jamais n’aima, à donner à la Prusse dix enfants. Disparus, les bourgeois dont l’histoire se limitait à leurs allées à la brasserie et à leurs venues au bureau, mais qui écrivaient trente drames et des Paradis retrouvés. Plus même de ces romanciers philistins, inférieurs à leur œuvre, quelle qu’elle fût, comme le père Schwanhofer. Les romanciers allemands produisent le minimum de romans, les poètes, les tragédiens, des apparences de vers, des soupçons de tragédies ; tous songent seulement à avoir les vies de romancier ou de poète les plus étonnantes, profitent du siècle qui s’y prête, et, grâce à la guerre, aux révolutions, aux victoires et aux défaites, accumulent les avatars en place de volumes et changent plus souvent de continent que Gœthe n’a changé d’étage. Si bien que les biographies des artistes allemands sont toutes en ce jour infiniment plus captivantes que leurs ouvrages, en admettant que ceux-ci n’aient pas été complètement omis. De même que leur pays mettait sur sa carte de visite « Premier Empire du Monde », ils ont écrit sur la leur le mot « Schriftsteller » ou le mot « Komponist », sans songer plus que lui aux obligations intérieures que de tels mots exigent, et, trouvant trop lent sur eux et leurs semblables le travail déflagrant de la musique,