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pays, comme on l’eût fait dans un roman, ou si je devais me résoudre à lui annoncer un beau jour la vérité.

On pensait de l’Allemagne, selon moi, que c’était un grand pays, plein de musiciens en uniforme, de soldats en civil, industrieux, actif, dont la barre était tenue par des antisémites aux heures éclatantes de l’année, par des sémites à toutes les autres, et mal disposé, ou mal préparé, à remplir une seule minute les engagements répartis pour lui sur chaque instant de son prochain demi-siècle.

— Et de la France, qu’en pensez-vous ?

— Ce qu’on pense de la France au Canada ?

— Oui, un marchand de Québec, comment la juge-t-il ?

Le marchand de Québec pensait que la France est un pays riche en églises, pauvre en baptêmes, et qui, par de petits bourgeois trop mesquins dans le détail et trop larges dans leurs vues, dirigeait depuis six ans l’Europe avec honnêteté et non sans honneur.

Le prince et Kleist se mirent à rire.

— Et vous, me demanda Kleist, reprochez-vous quelque chose à l’Allemagne ?

— Oui ; en trois jours, la lecture de ses journaux m’y autorise.

— Mais encore ?

— J’accuse l’Allemagne d’écrire le mot Bureau Burö et le mot Cakes Kehs. J’accuse l’Allemagne d’attaquer au bâton chaque jour ou d’inonder d’immondices me gardien du monument de Turenne. Je l’accuse d’écrire, sous la signature Trossinger, que Balzac est une brute, Racine un pourceau, et Molière