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jours néfastes pour les fillettes, où elle était tombée sur la mosaïque de la villa grecque de Stuck, où elle s’était ouvert le front à un Stylobate, où elle avait déchiré sa robe à un modillon Spartiate, le jour où peut-être lui aurait été épargnée toute mésaventure dans une demeure égyptienne ou un chalet mauresque, mais où les démons hellènes la poursuivirent jusqu’au premier sang. C’est moi qui avais essuyé ce sang, qui l’avais consolée de mes bras modernes, arrachée à ce sol et à ces accidents antiques, qui avais appuyé sa chevelure alors encore non graduée contre mon cœur contemporain, et je l’avais consolée avec une chanson française. Je doutais aujourd’hui de l’efficacité du même remède pour égayer son visage, dont l’hostilité défiait tout instrument de mesure. Jusqu’à la guerre, par les tableaux de Stuck, que reproduisaient les catalogues, j’avais été tenu à jour de sa beauté et de sa croissance ; je savais qu’en 1908 on lui avait percé les oreilles ; je ne le savais plus en 1910, date à laquelle elle avait adopté les cheveux en coquille ; je savais qu’en 1913, elle aurait pu commencer cette tendre occupation de vérification demandée par le major Schiffl et qui consiste à caresser de son menton sa gorge ; qu’en 1914 enfin, dans le coin droit du tableau, le serpent bleu s’était glissé. Sur tous ces portraits, elle portait une robe du même rouge ; on devinait à je ne sais quoi que c’était par sa volonté et non par celle du peintre, et, entre son manteau de lynx et son corps de lait, je devinais, aujourd’hui encore, entretenue par la guerre et la révolution, la tunique de braise. Elle accueillit sans prévenance mes allusions à la villa Stuck, me refusa ce mot aimable