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heures juste de l’après-midi où enfin, toute rose et fière d’être exacte, Fritzi leur était apparue. Il me semblait presque, aujourd’hui, tant le détail des frontons et les écorchures aux plaques indicatrices m’étaient familières, n’en être jamais parti, attendre encore… Mais ce n’était pas un chemin d’amoureux que suivaient Zelten et sa compagne. Ils discutaient avec une volubilité qui permettait d’affirmer qu’aucun d’eux ne se préparait en ce jour à imiter le ténor Pfohl. Ils ne m’entendaient pas, à cause de la neige, mais, tournant en rond autour des mêmes plates-bandes, ils virent aux traces de pas qu’on les suivait, et je fus pris.

Zelten me présenta sous mon nom canadien, tout joyeux, puis me désigna son amie.

— Fraülein Eva von Schwanhofer, dit-il.

Je regardais Eva avec admiration. Tout ce que je savais d’elle, le nombre de décimètres qu’elle cubait dans l’air, le nombre exact de verstes ou de lieues marines que donneraient ses cheveux noués bout à bout, je l’oubliai soudain, et tous ces chiffres placés par deux ou trois sur chaque partie de son corps, la Providence qui me l’offrait les effaça comme elle efface le prix de ses cadeaux. J’avais déjà rencontré Eva voilà quinze ans, alors qu’elle en avait six ou sept, chez le peintre Franz Stuck, dont son père était l’ami le plus intime, et les seuls portraits féminins que Stuck ait alors peints sans adjonction de serpents, d’hydres, de dieux Pan et de salamandres étaient justement ceux de la petite Eva, dont l’innocence arrivait seule à muer le décor infernal en fauteuils, en roses et en théières. Je l’avais rencontrée un de ces