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Le ciel n’avait plus un nuage. Dans les rues ensoleillées, toutes les petites filles et pas mal de grandes personnes suivaient un chemin bizarre, car elles s’amusaient à ne marcher que sur la neige vierge. Les hautes bourgeoises de Munich sortaient des églises, et tout ce que recelait en fourrures la capitale, du renard bleu à la loutre et à la belette, dirigeait leurs porteuses vers les retraites mêmes qu’eussent choisies les animaux vivants, le Jardin Anglais et les bords de l’Isar. À chaque angle de rue, les mendiants qui, jadis, en hiver, perdaient tant de pfennigs dans la neige, se réjouissaient de la monnaie-papier qu’on y retrouve aisément. Le peuple bavarois circulait en vêtements neufs, en gants neufs, en chapeaux neufs, mais étoffes et feutres étaient rêches à la vue, au toucher, et les plus colorés semblaient des coupons noirs reteints. J’avais presque rattrapé Zelten à la Halle des Maréchaux. Dans la Ludwigstrasse, large de trente-sept mètres, sans boutiques, et bordée de palais, il avançait d’une marche en crémaillère, passant d’un trottoir à l’autre, comme nous le faisions boulevard Saint-Michel pour éviter les magasins où nous avions des dettes. Que pouvait bien devoir Zelten au prince Theodor, à la Bibliothèque royale, et à la maison florentine du duc zu Bayern, notre protecteur aujourd’hui mort, l’octogénaire ami des jeux de mots, et qui adorait les vers français, surtout Victor Hugo, parce qu’il confondait les rimes avec les calembours ? À quoi pensait Zelten au pied de sa loggia ? Au fameux jeu de mots sur le premier consul qu’on prépare en mettant de côté un petit pois dans son assiette, et que le duc d’ailleurs, en disant Napoléon au lieu de