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RETOUR D’ALSACE

nos vacances avant son bachot je dirigeais son travail et lui avais donné un jour en narration une entrée en Alsace. Il n’y était pas allé par quatre chemins, il était entré par Strasbourg, il avait poursuivi jusque sur la plate-forme de la cathédrale un général allemand, qui s’était précipité dans le vide. Nous rions à ce souvenir… Je ne m’étais pas trop moqué de lui, car j’avais raté, moi aussi, en quatrième, mon entrée en Alsace. Je l’avais faite par les villes de l’autre bord, par Wissembourg, par Freschwiller, d’après les récits de 70, et je décrivais ces villes dans le mauvais sens, comme Chateaubriand pour ses voyages de Grèce. Encore un élan, et j’étais en France… On voyait au bout d’une minute que je n’y étais pas vraiment entré.

La pluie s’est calmée. Nous arrivons à Fellering à six heures et restons avec le 2e bataillon qui y cantonne. Le premier continue jusqu’à Urbès. J’organise le bureau du colonel dans une hôtellerie, avec un cousin du cafetier, missionnaire qui veut absolument mettre des plantes vertes sur la table et laver nos porte-plumes au savon noir. On prend dans l’Ouganda de singulières habitudes. Je rejoins Epitalon et de Fraix dans une autre auberge, où nous dînons. C’est, celle-là, l’auberge allemande. Sa terrasse domine toute la