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RETOUR D’ALSACE

notre biscuit, qu’ils dévorent. Les plus grands remarquent tout haut ce que les Allemands ne feraient pas : les faisceaux si vite, le feu si vite. Un garçonnet de douze ans, coquettement habillé, me demande toutes les explications que je réclamais dans mon enfance des soldats : s’il y a une différence morale entre les galons d’argent et d’or, comment on distingue l’adjudant du sous-lieutenant, le fourrier du sergent-major. Il avait un peu dédaigné, jusqu’ici, les sergents-majors. Je lui montre le nôtre : Forest, toujours rasé de frais, aux yeux bleus et vifs, à l’uniforme toujours repassé. Voilà un grade sacré pour les enfants de Saint-Amarin… Le clairon sonne : les Allemands ne boiraient pas le café si bouillant si vite. Il demande à ce que je lui envoie un mot, si je suis blessé, et il écrit sur mon carnet son adresse : Paul Schlumberger, Saint-Amarin, Alsace, France. Je découvre dans mon portefeuille une carte de visite et la lui donne, bien qu’elle soit cornée, car j’avais trouvé, rue Falguières, la vieille dame que je comptais éviter. Je pense aujourd’hui que Paul ne pouvait y lire que ma rue, et pas ma ville. Mais on devinait que c’était une grande ville et il aurait pu m’écrire dans les onze villes françaises qui dépassent cent mille habitants.