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RETOUR D’ALSACE

conquérir Clermont-Ferrand ou Issingeaux. Jamais ces chemisettes, ces jupes de velours bordées de ruban rose que le soldat attend à la frontière des contrées que l’on personnifie par des femmes. Nous avions pourtant pris le soin d’entrer en Alsace un dimanche. Où devions-nous donc retrouver l’Alsacienne des cartes postales, celle du soir de la mobilisation, sur les boulevards, la seule que connut le régiment, à part une vieille dame de Strasbourg, que moi je connais en plus, qui fait de l’aquarelle et devait se mettre à l’huile quand la guerre éclata ? Nous n’étions pourtant, à notre arrivée, que les envoyés des femmes ! Que de femmes, de Roanne à la frontière ! Sur notre passage, aux arrêts de nos trains, appartenant à chacun, esclaves de chacun, courant du passage à niveau à la ville — cela descendait — pour remplir vingt bidons qu’elles avaient pris vides et qui pesaient vingt kilos au retour — cela montait ; ne se retenant pas de donner deux billes de chocolat à chaque homme — au lieu d’une — et désespérées d’avoir épuisé deux fois plus tôt leurs provisions ; bourgeoises, paysannes, fillettes nobles, alternant au bord de la voie comme dans la vie d’un voyageur illustre, institutrice dont chaque élève avait écrit un billet d’espoir aux soldats inconnus ; bouchère, dont l’éta-