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RETOUR D’ALSACE

au sarment qui s’éteint, pour que le fagot suffise jusqu’au matin, comme on allume des allumettes pour descendre d’un sixième. Mon tambour, qui a le visage illuminé, discute avec un soldat qui a le visage sombre ; il termine une histoire dont je n’entends que les dernières phrases : « Je le tue avec mon képi de plomb » — « il avait au moins six mains » — « son sang était de l’or ». — Ces gens-là racontent leurs rêves, mais j’ai eu une seconde l’impression que le peuple a un langage de la nuit, sans logique, inhumain… Parfois le sarment est vert et nous enfume, mais fumée est toujours un peu chaleur. Une petite étoile française, jusque-là immobile, nous fait tout d’un coup mille signaux. Vers trois heures, un adjudant passe pour faire éteindre les feux inutiles. À Paris l’on éteint en ce moment un bec de gaz sur deux, mais nous n’obéissons pas ; nous nous taisons ; enfin celui de nous qui est le soldat faible, qui tuera sur ordre les chiens blessés, qui brisera les bouteilles d’alcool confisquées, étouffe notre feu en le battant avec le sarment qu’il allait y mettre. Nous restons autour de la cendre, jusqu’à ce qu’elle soit froide. Nous touchons de nos doigts le dernier charbon. Puis l’aube arrive, par une porte qui laisse aussi passer une bise aigre. Nous relevons nos cols, nous resserrons nos cravates. Un coq