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RETOUR D’ALSACE

personne n’a refusé l’invitation. Allusions aux nouvelles mariées. Sommeil impossible pour quatre, car Laurent ronfle. Nous vérifions enfin sur lui l’affirmation classique des ronfleurs qui ne ronflent, prétendent-ils, que couchés sur le dos. Les ronfleurs sont des menteurs : Laurent ronfle quand nous le tournons sur le côté droit, et sur le côté gauche, et sur le ventre. Nous nous étendons à l’écart sur le parquet ; pas de punaises, comme nous le craignions, mais, vers minuit, un cheval qui s’est détaché, qui est entré dans la maison, et qui nous flaire ; il reçoit une gifle et disparaît en glissant. À une heure, les cuisiniers s’installent dans notre cour. Il n’y a plus à lutter. Ils chassent tout ce qui nous restait d’engourdissement et de tranquille conscience, avec le bruit recommandé en Algérie pour chasser les sauterelles. Je sors et vais m’asseoir auprès de leur feu, pas le feu où leur café bout, mais leur feu de luxe, car ils établissent toujours deux foyers, comme s’ils faisaient une ellipse et non pas la cuisine. Il y a déjà là trois ou quatre soldats, les uns penchés sur la flamme, les autres lui tournant le dos, car la chaleur est faible et ne traverse même pas la moitié d’un homme. Vers le cœur, on reste gelé. Nous l’entretenons parcimonieusement, allumant chaque nouveau sarment