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RETOUR D’ALSACE

grenades. C’est, à peu près toutes les heures, un revolver qui part dans les mains d’une ordonnance maladroite, et qui donne aux soldats parisiens l’impression qu’on est près de la Tour Eiffel et qu’il est midi. Puis, si on se lève enfin aux cris de Laurent qui appelle pour le rapport, c’est un chemin tournant au-dessous d’un mur couronné de roses ; au-dessus du mur, une terrasse ; au-dessus encore, le cimetière… Il faut être civil pour se faire enterrer si haut ! Là, c’est le calme que donne un petit chemin de croix qui n’a que quatre stations et où Jésus meurt sans être encore fatigué, les joues bien roses ; c’est le désespoir, très adouci qu’inspirent la colonne brisée au-dessus du fils Moser, la colombe dorée au-dessus de la fille Mayer, l’inscription de Hans Hermann, né en 1870 et mort hier, pauvre et noble vie, qui n’a pu loger tout entière en Allemagne. Un Durand est venu aussi reposer dans ce cimetière. Chers Durand, et vous, chers Dupont… chère France !

Déjà vingt jours de campagne, déjà deux semaines sans lit, sans linge blanc, sans café vraiment sucré, sans pain vraiment salé ; — Petipon, tombé de congestion au pied du drapeau ; — trois