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RETOUR D’ALSACE

par une petite défaite athénienne. Moins que des soldats ou des peuples, il voit des victoires ennemies se précipiter l’une contre l’autre, Wattignies contre Sedan, Denain contre Waterloo. De nos armes, de nos navires, il parle avec le même jugement impartial et transparent ; à l’entendre, tout devient balistique, capillarité, et je rattrape à peine par les trajectoires de ses fusils, mon pauvre régiment, qui me semble presque inutile. Il m’explique les vallées, les rivières, comme si son rôle était de prouver le déterminisme de la guerre à un sergent. Guerre que nous imaginions tous, dans notre inconscience, une guerre d’été, et qu’il a vue, dès le début, souffrir des douleurs des quatre saisons, car il me rappelle qu’au Cameroun il pleut, qu’en Chine il gèle… Il étend la guerre sous toutes les zones comme un nouveau continent… Guerrier que je suis, je sens ma part de froid me gagner, ma part de neige, je prévois une seconde les tranchées, les inondations, les fièvres. De l’Alsace aussi il me parle si nettement, dans son esprit, comme sur ses photos, comme dans ce pré bordé directement par les Vosges et le Rhin et où nous pouvons planter, plus légitimement que sur la carte même, des épingles avec des drapeaux, je la sens si étroite, si délimitée, si seule, qu’il en a bientôt