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RETOUR D’ALSACE

faire entendre qu’il a connu un Boche, à Vichy, un garçon d’hôtel. Il a connu aussi un idiot, qui vendait des journaux et auquel on n’a jamais pu repasser une pièce fausse ; il ne faudrait pas croire que les idiots soient plus bêtes que les autres.

Rencontré le lieutenant Bertet. Il n’en revient pas d’être déjà en Alsace. Il n’avait pris que des cartes de Prusse et de Bavière, comme s’il s’agissait dans cette guerre de délivrer la Pologne et je dois lui céder mes deux pauvres petites cartes de Colmar et de Strasbourg. Il ne me laisse qu’un plan des irrigations de la forêt de la Hardt, trouvé à la mairie. Je ne risque plus de me noyer dans cette forêt… Je pense avec un peu de pitié à mes amis alsaciens, Braun, Beyer, partis avec le 102, le sac bourré de cartes des Vosges, qui s’acharnent sans doute en ce moment sur le Luxembourg belge ou le Luxembourg luxembourgeois, qui couchent ce soir à Malines, à Bruges et doivent trouer, pour arriver à la bataille, tous les décors de Rodenbach, qu’ils n’aimaient guère, alors que nous tenons déjà, par quinze jours de marche pacifique, le seul enjeu de la guerre. Nous avons une belle dette envers l’officier d’état-major auvergnat qui fit sournoisement désigner, sur les plans de mobilisation, les Auvergnats pour reprendre l’Alsace !