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RETOUR D’ALSACE

invités de Henner. Il fait toujours très chaud ; Je rejoins les autres sergents, couchés sur la pelouse. Étendu sur le dos près d’eux, je les écoute se parler de leurs femmes, j’admire, mais quand c’est mon tour, les photographies de Mme  Sartaut, dont Sartaut fait passer un choix inépuisable ; je la vois en costume cycliste, en costume de bain, appuyée à un prie-Dieu au bord d’une plage, car toutes les photographies ont été prises en juillet à Arcachon. Je la vois soudain en buste, comme si elle s’était rapprochée de nous de moitié chemin. Chaque fois elle a près d’elle un chien différent, car son métier, à Paris, est de prendre les chiens en pension. La voilà en bateau avec un lévrier qui a appartenu à Sarah Bernhardt, et Sartaut parle de Sarah qui gagne un million par an, qui dépasse les soixante-dix ans, et n’a pas un sou : c’est une femme qui n’a pas d’ordre. On repasse la photo du bain, pour voir le caniche d’une Brésilienne, et pour discuter, ce qui nous fait traiter de stupides par Sartaut, si la vue a été prise avant le bain ou après. — C’est avant pour le caniche, encore frisé, après pour Madame, toute lisse. — Douce petite française, aux yeux inclinés, à la gorge haute, aux jambes nettes, qui s’oppose dans notre pensée, selon le chien du jour, à une actrice, à une juive, à une Guatemalaise. C’est elle qui nous