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RETOUR D’ALSACE

a sur la main un peu de sang de Chambéry. Il le montre à ses voisins, leur fait croire qu’il est blessé, et il s’y trompe lui-même, à chaque cigare qu’il allume.


Bernwiller, 20 août.

Occupé Enschingen à minuit juste. Je dis minuit juste, bien qu’il y ait eu à ce sujet une dispute entre mes deux compatriotes, Laurent, qui a l’heure de la ville, et Clam, qui a l’heure de la gare. Les Allemands viennent de partir, laissant la mairie préparée comme une souricière, des tablettes de chocolat sur la porte ouverte, des croûtes de fromage sur la table. Dans une cave, une patrouille égarée du ***, que les compagnies se passent, que le capitaine Fontange félicite, que le capitaine Perret veut fusiller comme déserteurs. Nouveaux otages, qui descendent en bras de chemise et que nous renvoyons passer une veste, car nous ne voulons que des otages entièrement habillés. Je suis de garde du drapeau que nous installons dans l’auberge, et tous les soldats qui s’échappent pour boire, surpris, vident leur verre plus dignement. À trois heures, départ pour Bernwiller ; le lieutenant Viard félicite les guides : la route est absolument droite. Journée paisible,