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RETOUR D’ALSACE

dans cette guerre, qu’à égale distance des sentinelles françaises, des sentinelles allemandes, et avec son colonel. Parfois seulement, une détonation, suivie d’une autre, plus brève, plus sèche, comme si le tireur se précipitait pour ramasser son blessé. Assis les uns en face des autres, nous formons à nouveau un de ces groupes arrondis dont vit la paix. Nous sentons si bien que ne commence aucune ère nouvelle ! Nous nous remettons, comme dans l’ère précédente, à fumer, à nous pincer, à boire. Le colonel, qui en a profité pour reconnaître la forêt allemande, se décide pour Spechbach et nous revenons, enroulant à nouveau le ruisseau autour des chevaux qui se cabrent. Voici Spechbach. Une mare ronde et claire est posée devant le village comme un miroir devant les lèvres d’un homme endormi. Pas une ride. Pas un murmure… Spechbach est mort… Nous avançons.

…Ici une heure qui n’appartient pas au régiment et que le capitaine Lambert a fait rayer de notre Livre de marches. Vais-je la raconter ? Ici des blessés, des morts. La sentinelle qui nous arrête a le front entouré d’un bandeau rougi ; — la balle, l’unique balle aurait-elle porté ? Dans la première maison, une foule de blessés qui se sont