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RETOUR D’ALSACE

C’est une vieille histoire. Nous avons déjà battu en effet les Autrichiens, en 1814, à Roanne même. Nous avons, de ce côté de la Loire, fait circuler un convoi ininterrompu de tuyaux en tôle sur des roues. Le général eut peur de tant de canons et ne tenta point le passage. La ville fut décorée, en même temps que Tournus où était né Greuze.

— Et attention ! Vous êtes sous le feu de l’artillerie lourde.

Pour ne point le désobliger, nos chefs nous donnent une vague formation par sections. Il part enfin. Non, il revient, toujours au galop.

— Vous êtes sous le feu de l’artillerie légère !

Est-ce qu’il va reparaître ainsi pour chaque calibre, pour les mousquetons, pour les revolvers ? Le colonel lève le bras, l’abaisse. Nous partons…

Les quatre compagnies avancent en ligne à cent mètres d’intervalle, chacune serrée et silencieuse. Les hommes ne prononcent pas une parole, malgré leur désir de savoir au juste ce qu’ils font, si c’est une marche d’approche, une charge, s’il y aura des mitrailleuses. Tous ces mineurs, ces tisseurs, ont gravement éteint leur cigarette, leur pipe, comme à l’entrée de l’usine, par précaution. Ils vont à une allure folle. La crise de discipline qu’ils ont pour la première fois se résout en silence