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et clairons ne viennent s’attacher définitivement et qui ne les renvoie à la compagnie suivante. Les adjudants ordonnent de pendre toutes les plaques d’identité autour du cou sous le prétexte que cela protège la poitrine, et numérotent par classe les hommes de chaque escouade, pour que l’on sache, en cas de blessure du chef, qui commande. Frobart n’a de chance de commander que s’il reste tout seul. On remplit les bidons d’eau, malgré les protestations de ceux qui y gardaient un peu d’absinthe ou de rhum pur. Seuls les brancardiers sont prêts ; ils sont même déjà partis : il faut les arrêter de force et les faire passer à l’arrière du bataillon. Chacun a l’impression qu’il nous manquait deux heures pour être vraiment prêts à la guerre. Mais avec conscience les hommes regagnent le temps perdu. Ils font sauter les boutons qui tiennent mal, ils attellent les chiens aux voitures, ils amarrent au régiment tout ce qui pourrait flotter, tomber, ils ramassent les papiers, ils font autour d’eux un bivouac propre et lisse comme si nous allions nous battre sur place ou comme si nous attendions un orage. Nous ne glisserons pas, nous ne tomberons pas. L’honnêteté du régiment se rétablit, les hommes qui ont casé leur sac dans quelque camion, avec la complicité du conducteur, courent le reprendre ;