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RETOUR D’ALSACE

conquis que des okarinas, des cartes déchirées, et que nos chiens, baptisés comme une escadre allemande, Guillaume, Bismarck, Blücher. Nous avons pris l’habitude d’envoyer des vues illustrées mensongères, de Montchanin quand nous étions à Burnhaupt, de Ribeauvillé quand nous étions à Thann, de sorte que nous supportons à peine, tant l’émotion est forte, de recevoir une carte vraie, qui vient d’un Parisien et est Sainte-Clotilde, d’un Vichyssois et est le Casino. Nous avons gagné de ne pouvoir plus raconter notre guerre sans dire négligemment que nous avons commencé en Alsace, et le vin que nous boirons gardera le goût de kirsch tant que nous n’aurons pas de bidons neufs… C’est tout… Nous aurons le sentiment de nous être acharnés sur la frontière même, la piétinant, comme s’il suffisait de l’effacer, et de l’avoir remplacée par la ligne bossue de notre itinéraire, par une charnière toute neuve. Nous aurons, les jours de deuil, la modestie de ne vouloir acquérir que ce que nous avons parcouru, Saint-Amarin, Aspach et surtout Enschingen, puisque nous l’avons pris tant de fois. Nous aurons l’impression d’avoir été envoyés au secours de l’armée de Belgique moins par Roanne que par Thann, qui s’est dépouillée généreusement et en un jour de nous tous, et une fois à l’hôpital, nous