Page:Giraudoux - Retour d’Alsace, août 1914.djvu/105

Cette page a été validée par deux contributeurs.
97
RETOUR D’ALSACE

est le col le plus solitaire de France et d’Allemagne, nous serons arrivés dans une heure. Nous ne rencontrons qu’un cheval mort de fatigue dont les maréchaux du régiment arrachent et se partagent les fers, à la dérobée, comme des porte-bonheur. La forêt, par instants, nous couvre d’arceaux humides et l’artiste imitateur de la compagnie imite maintenant les oiseaux. Aux tournants, je vois Michal avancer à dix mètres devant nous, décamètre de son pas étalonné, que le régiment ne rattrapera plus qu’en France. Grâce à la pente, le niveau s’est établi entre le bataillon gai et le bataillon triste. Déjà les bornes kilométriques nous annoncent la France ; les hectomètres eux-mêmes parlent sur cette route. Dans huit cent cinquante-trois mètres, nous serons en France. Nous ne voyons plus de l’Alsace que la route, les arbres qui la bordent, et il faut maintenant la toucher pour y croire. Les officiers, ménagers de leurs chevaux, marchent à la hauteur des hommes, avec un remords que combat l’assurance d’avoir désormais plus régulièrement les lettres de leur femme ou de la directrice du Grand Cercle helvétique.

Que nous as-tu donné, Alsace ? Nous revenons sans trophées, et il y a au plus trois casques de uhlans dans tout le train régimentaire. Nous n’avons