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les yeux, et d’ailleurs, peu à peu, tout venait à moi, m’effleurant sans me choquer. Au fond de l’air un peu aigri, flottaient, comme la lie d’un vin décoloré, des mousselines et des voiles. La terre trépidait, et l’on devinait qu’elle était ronde, car, avant d’en distinguer les murs, on apercevait les cheminées des maisons. Un arbre poussa tout à coup à côté de ma table, me meurtrissant le bras, et, soudain, comme je ne les avais jamais vus, tous les arbres se dressèrent dans la campagne et avancèrent vers nous ; les peupliers, par escouades de trois, qu’on ne devait pas séparer, même sur les navires ; des chapelets d’aulnes au pied desquels serpentait un ruisseau d’ombre presque tari ; un pin parasol, qui abaissait ses branches comme un marchepied et d’où l’ombre descendait, noblement ; puis les acacias que la foudre épargne, car chaque feuille a son paratonnerre. Puis la Forêt, laissant les clairières comme traces de ses pas.

J’ai beau lutter, j’ai beau crisper mes mains, je deviens peu à peu une petite fille. Mes soucis de gamin s’en vont par lambeaux ainsi qu’une peau de serpent qui mue ; mes bras s’allongent dans l’air comme dans l’eau d’un bain ; et mon