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étrangers courir vers la poste, égarer leurs valises, confondre bureau de tabac et épicerie, photographier un tombereau attelé d’une vache, les habitants de Beaume sentaient plus nettement combien l’on perd de sa dignité à voyager et combien le pays qu’on habite est supérieur à tous les autres. Le père Lignelet, qui avait fait sous Napoléon la campagne de Chine, avait trouvé ce soir des auditeurs. On devenait fier de soi-même à l’écouter.

— Pour manger, disait-il, on trouve toujours ! Mais, ce qui change le plus, c’est pour les yeux. Il n’y a pas une chose qui ne soit pas jaune. Vous portez des robes jaunes comme on porte ici des robes bleues. Si vous trouvez une rivière, vous vous demandez comment les poissons peuvent vivre !

— À Paris…, commençait Potie.

Mais le père Lignelet ne permettait pas la concurrence. Il lui coupa la parole.

— À Paris, riposta-t-il, ils font ce qu’ils veulent. Mais là-bas ils aiment le jaune. Le rouge, le brun, les grenats, bernique ; je voudrais que vous voyiez une Chinoise. Nous en avions dans le camp comme cantinières. Les souliers, les bas,