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quand vous étiez distrait, ils s’attardaient sur l’accotement, pour y brouter.

Mais soudain, sans hésiter, les chevaux hennirent, les poules gloussèrent, l’âne, bien qu’on en rît, se mit à braire, les chiens, malgré les menaces, s’entêtèrent à aboyer : le cortège des pèlerins approchait. On entendait les cantiques, différents pour chaque paroisse, rentrer en accordéon les uns dans les autres ; un murmure sans écho flottait autour de leur colonne comme la poussière autour d’un bataillon en marche. On respirait aussi la poussière. Et tout à coup, au tournant, ils apparurent.

Je n’avais guère vu jusque-là que des pèlerins isolés. Ils semblaient honteux, si on les regardait, comme un baigneur dont la maladie est venue à contre-temps et qui circule dans la ville d’eau quand la saison est finie. Ils se rangeaient devant les bicyclettes, devant les arbres, devant la route, et suivaient les trottoirs, rougissant quand une demoiselle de magasin s’adossait à la devanture. Mais ceux d’aujourd’hui allaient en torrent, les rangs et les poings serrés, sans voir que le soleil en berne flottait à peine au ras des cheminées, et l’on n’avait qu’une peur, qu’ils