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étions seuls. À travers le guichet nous apercevions seulement le commis, qui quadrillait une feuille, avec colère, comme s’il poursuivait pour le rayer un mot insaisissable. Invisibles, le percepteur et le fondé de pouvoirs lisaient tout haut des comptes qu’ils collationnaient. Ils semblaient ne vouloir oublier aucune des combinaisons que l’on peut faire avec les dix chiffres. Parfois le commis leur en suggérait une nouvelle, et ils se reprenaient, dépités. Quand ils furent arrivés aux centaines de mille, ils soufflèrent et l’un d’eux vint au guichet.

— Monsieur le receveur, murmura Estelle, c’est pour une réclamation.

Le percepteur haussa les épaules, agacé, et se tourna vers ses aides :

— C’est fantastique, dit-il. En voici encore une qui s’imagine que c’est chez le percepteur qu’on réclame.

— Mais…, fit Estelle.

Il l’interrompit.

— Alors, demanda-t-il, vous y tenez ? C’est moi qui fixe les impôts ? Le directeur du contrôle, le ministre des Finances, les répartiteurs, ça n’existe pas ?