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sais maintenant m’écouter quand je parle. Mes lèvres sont si chaudes qu’elles se distendent. Je souris.

Alors, pour mieux bouder, j’essaie de penser à la chose la plus triste du monde. Mais cela m’est presque impossible. On croit que l’on va tout de suite, dès la première pensée, imaginer le malheur d’entre les malheurs, qu’il suffira de le saisir et de le passer devant ses yeux, comme une herbe malfaisante, pour les faire pleurer. On se dit : le voilà, le malheur plus grand que tous les autres, et une fois près de lui, nous ne le reconnaissons, pas. Nous passons, hésitants, au milieu du chagrin comme au milieu du brouillard ; on le croit plus épais là-bas, on y court, mais on apporte autour de soi, partout où l’on s’arrête, un cercle d’air incolore. Pourquoi pleurer les morts dont on a encore des photographies, où ils vous regardent, indulgents, déjà pâles, avec de si larges cravates ; pourquoi pleurer sur nos plus chers regrets ? Voilà que je souris, en pensant aux grives mortes, à la caille, qu’un jour de colère, j’assommai ; je souris aux mendiants couchés sur les silos ; je te souris, vieux chien, mangeur de chats. Voilà que pour pleurer, je dois